Chrstine Labarbe

Chrstine Labarbe

Lean-Agile & SAFe Methods Expert Consultant & Advocate | Lean-Agile Philosopher

L’art de maîtriser les concepts

Ma première idée d’article était d’aborder les points communs entre les méthodes et disciplines appartenant à l’agilité et du bouddhisme afin de mettre en lumière la nécessité d’accepter, entre autres, le changement et mettre en relation ce concept avec l’agilité ; qui d’une manière ou d’une autre, nous expose au quotidien à cette réalité qui nous rappelle que finalement, rien ne dure et que tout est en mouvement. Je réserve cette réflexion pour un autre article.

Aujourd’hui, j’aimerais m’arrêter sur un concept qui me tient à cœur. J’aimerais parler de structure et d’architecture des méthodologies Lean et Agile.

Qu’est-ce qu’on entend par « Architecture »? Au sens figuré, l’architecture est un concept qui constitue une ossature, des éléments essentiels d’une œuvre. L’architecture informatique désigne la structure générale inhérente à un système d’information décrite comme étant une organisation de divers éléments constitutifs d’un système en vue d’optimiser la conception de l’ensemble pour un usage déterminé (source : larousse.fr). L’architecture d’entreprise soutient une organisation dans la réalisation de ses horizons stratégiques et objectifs opérationnels. Elle alimente une réflexion stratégique et recommande le choix des investissements et accompagne la mise en œuvre des stratégies (source : PMI Québec).
Ma définition de l’architecture des méthodes Lean-Agile, est la concentration des éléments méthodologiques constituant un ensemble de pratiques et de cadres essentiels constitutifs d’une structure fonctionnelle et organisationnelle en vue de standardiser son ensemble pour un usage déterminé, spécifique ou personnalisé.

En résumé, c’est l’art de maîtriser les concepts et leur application.

1948, la naissance du Lean.

La philosophie et les principes du Lean sont nés en 1948 et ont été élaborés pour répondre à la demande de production à la chaine. Taiichi Ono invente le « Système de production Toyota – TPS » et avec lui le Lean Management pour concurrencer la force de frappe des entreprises automobiles américaines. Cette nouvelle approche apportera plusieurs autres technicités, dont certaines aujourd’hui sont largement utilisées dans les Technologies de l’Information (TI) et autres domaines. Contrairement au taylorisme – méthode d’organisation du travail reposant sur trois piliers principaux, les divisions horizontales et verticales et de contrôle du temps ; le modèle de TPS est moins pyramidal et s’appuie sur l’intelligence collective. C’est le modèle aujourd’hui le plus répandu au sein de nos organisations (1880 – à nos jours).

Néanmoins, cela sera après les années 70, et ce jusqu’aux années 90, que le « Lean » va commencer à intéresser les entreprises et organisations occidentales. Étant confrontées aux mêmes préoccupations et mêmes enjeux de production et de rentabilité que les usines Toyota, le Lean comme créé par Taiichi Ono est théorisé et formalisé par l’intermédiaire du livre « Lean Thinking » en 1996 (Daniel T. Jones et James P. Womack).

Nous allons avoir précisément à cette jonction temporelle le croisement entre le Lean et la diffusion des pratiques Scrum.

Au travers de cette ligne de temps se sont intercalés plusieurs autres pratiques, philosophies, méthodes, démarches, guides, cadres de référence ou encore technicités. Les plus connus sont le développement incrémental et itératif (x-15 hypersonic jet – 1950 Gerald M. Weinberg NASA), le Refactoring (Bill Opdyke – 19930, le Feature Driven Development (Jeff De Lucas – 1997), l’Extreme Programming (Kent Beck – 1990).

En parcourant cette ligne de temps, à très haut niveau, nous pouvons prétendre avoir traversé plusieurs périodes importantes dont les points de basculement ont été cruciaux pour expliquer la période que nous vivons aujourd’hui. Nous pouvons associer l’ère de l’acier et de l’ingénierie lourde (1875-95) ainsi que celle du pétrole et de la production massive (1908 – 43) avec le modèle « Taylorisme ». J’associerais donc l’ère du logiciel et du numérique (1971 – ?) avec les méthodes Lean et Agile (après-guerre – 1943).

Vous vous demandez sûrement ; mais quel rapport y a-t-il avec l’architecture des méthodes Lean et Agile? En dépit de la traversée du temps depuis la naissance du taylorisme du Lean et de l’agilité et aujourd’hui, de l’agilité d’entreprise, je remarque qu’il serait dans l’intérêt des entreprises et organisations de structurer leur transformation ainsi que la modernisation des méthodes de travail. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de commencer à repenser comment moderniser les divisions horizontales et verticales hiérarchiques créées par le modèle de Taylor. Appliquer, construire et structurer au sein d’un système complexe interconnecté comme étant un tout systémique.

Concept d’architecture des méthodes Lean et Agile

Aujourd’hui, pour nous tous qui avons un lien direct ou indirect dans le domaine des technologies de l’information et qui officions depuis les années 2000, nous savons que l’ère de la production massive a laissé place à celle de la numérisation. Cette dernière entrainant avec elle, l’utilisation intensive des méthodes Lean et Agile.

Parce qu’il aura fallu plus de 20 ans pour qu’aujourd’hui la pratique Scrum soit considérée comme étant la pratique Agile la plus utilisée par les équipes de développement au sein des entreprises et organisations. Le système Kanban ne fait pas exception, ce modèle commence à peine à être considéré comme étant une technique efficace pour répondre aux besoins des équipes dont les activités sont fluctuantes et variables. Pour ce qui est du modèle Lean, malgré son âge, c’est timidement qu’il perce les lignes défensives des processus organisationnels pour y apporter des améliorations conséquentes aux gaspillages procéduraux établis depuis des décennies. Finalement, n’oublions pas l’arrivée depuis seulement quelques années de l’Agilité d’Entreprise (Business Agility). Ce concept offre des domaines de réflexion pour favoriser la capacité d’une organisation à s’adapter au changement, à créer le changement et à en tirer parti au bénéfice de ses clients.

Le nombre de méthodes, concepts, philosophies, cadres de référence ou technicités tels que SAFe, DevOps, DaD, LeSS, Nexus, Management 3.0, Domaine Driven Design, Agile Human Resources, OKRs, Kaizen, Design Thinking, Système Thinking, Customer Centricity, Holocratie, Sociocratie, T-Shape, Tests Driven Development, Behavior Driven Development, PDCA, Beyond Budgeting, Pair Programming, Minimum Viable Product, Théorie des Contraintes et encore beaucoup d’autres nous contraignent aujourd’hui à structurer et à normer la modernisation de nos organisations et nos entreprises. Il ne suffit plus de choisir une pratique ou une technicité et de l’appliquer seulement au sein des équipes, en ne ciblant que le niveau d’abstraction opérationnel et s’attendre à récolter des résultats miraculeux. En nous concentrant seulement dans un domaine circonscrit limité, nous nous écartons ici de l’approche systémique circulaire. En isolant nos efforts d’un ensemble et de son tout, nous ne tenons compte que d’un point de de vue, celui de la pensée linéaire. Ce sont les trois niveaux d’abstractions hiérarchiques qui ont besoin d’être pensés et modernisés comme étant un ensemble interconnecté.

Malgré la multiplicité des outils et technicités appartenant aux parapluies Agile et Lean, très peu d’entre eux sont communément utilisés. La tendance au sein des organisations porte à n’utiliser que les plus connus, voir ceux que la concurrence promeut. Les organisations aujourd’hui ont besoin de repenser et de moderniser leur structure fonctionnelle. Pour une transition réussie, elles doivent avoir une connaissance claire de leur structure et des moyens qui devront être engagés. Ses moyens ne sont pas seulement technologiques ou humains, ils sont d’ordre stratégique, méthodologique et temporel. Il est essentiel, non seulement d’identifier, mais de prendre conscience des avantages et des inconvénients d’une modernisation.

Il ne suffit pas de vouloir le changement, il faut devenir le changement lui-même, l’embrasser et le créer à tous les niveaux structurels. La décision de passer d’un mode projet au mode produit ne se décide pas sans en quantifier les impacts. Comment une organisation peut devenir réactive, souple en intégrant une planification de son portefeuille si sa gouvernance est verticale? Comment une organisation peut amortir les impacts liés au rapprochement des corps de métiers si les ressources humaines ne sont pas Agile? Comment les gestionnaires peuvent-ils prétendre obtenir la mobilisation et la motivation accrue des équipes si eux-mêmes ne suivent ni ne supportent le changement vers de nouvelles méthodes?

Si les organisations doivent intégrer de nouvelles pratiques tirées des méthodes adaptatives telles que l’Agilité ou le Lean pour prospérer ; elles doivent aussi faire front à un marché toujours plus complexe, plus adaptatif, changeant et principalement concentré sur une culture qui place le client et l’utilisateur final au centre des préoccupations. La gestion des parties prenantes devient essentielle si l’organisation souhaite prospérer au sein d’un marché en émulation, demandant un temps de réponse extrêmement rapide. La complexité ne se situe plus seulement au niveau du travail colossal qu’une organisation doit opérer au sein de sa structure, elle doit également comprendre les enjeux de distribution de pouvoir décisionnel au travers de la décentralisation de l’information. Elle doit créer un environnement de confiance pour stabiliser la diversité managériale et aligner les objectifs stratégiques sur le choix des pratiques à implanter au sein de l’ensemble des écosystèmes.

C’est à ce sujet que l’architecture des méthodologies Lean et Agile prend tout son sens. Les méthodes et disciplines appartenant aux domaines Lean et Agile rendent possible la connexion des écosystèmes intra-entreprises si elles structurent, orientent et alimentent la réflexion stratégique organisationnelle et de gestion du changement. Autant l’Architecture d’Entreprise au sein d’une organisation est notoire, car elle aligne et alimente la réflexion stratégique d’entreprise, recommande le choix des investissements et fait le lien entre les décisions stratégiques et la livraison de valeur pour l’organisation. Que l’architecture des Méthodes Lean et Agile devrait avoir la même notoriété que sa jumelle pour permettre un alignement stratégique avec la vision et la mission de modernisation des structures fonctionnelles au sein de l’organisation.

Il est devenu crucial de structurer les choix inhérents aux outils et aux technicités appartenant aux parapluies Lean et Agile. C’est un luxe que les organisations ne peuvent plus éviter aujourd’hui. Quelle que soit la structure de l’organisation, une architecture des méthodes Lean et Agile doit être préméditée, pensée, implantée progressivement et elle doit refléter une chaîne de valeur méthodologique supportant la modernisation des niveaux stratégique, tactique et opérationnel. Une vision stratégique d’architecture des méthodes émergentes et intentionnelles doit faire partie intégrante des horizons et doit être déployée, au sens large du terme, comme étant la voix, le chemin à suivre, reflétant ainsi la motivation et la mobilisation de tous les employés ; du Président jusqu’à l’agent du service à la clientèle.

Personnaliser son architecture des méthodes Lean et Agile

Comme chaque organisation est différente, grâce à un système organique unique, chacune doit penser, inventer, créer et personnaliser sa structure, son agilité d’entreprise, ses modes d’organisation et de management et enfin, sa raison d’être pour être prête à faire face aux nouveaux horizons du marché et de la concurrence.

Aujourd’hui, les organisations ont besoin de se repenser, de se moderniser et de se transformer en organismes vivants pour répondre rapidement aux impondérables d’un marché toujours en évolution. La gouvernance hiérarchique montre encore des traces beaucoup trop enracinées au taylorisme. Si depuis les années 1960 jusqu’aux années 2000, cette structure a prouvé son efficacité, aujourd’hui elle n’est plus adaptée. L’héritage fonctionnel hiérarchique tel que nous le connaissons contient des écosystèmes silotés, érigeant des murs de confusions toujours plus persistants quant à l’intégration, l’application et l’adoption de simples pratiques comme celle de Scrum soulève de sérieux enjeux de verticalité.

La majorité des organisations concentrent leur énergie et leurs investissements dans l’adoption de nouvelles méthodes au sein de leurs équipes opérationnelles, car elles pensent que le développement, l’intégration et la livraison continue suffiront à répondre à la demande des clients toujours plus complexe ; ou encore, faire face à la rage concurrentielle en multipliant les contrats d’accompagnement de coaches pour transformer les équipes dans un délai aussi court et irréaliste de 6 mois.

Transformer les équipes est un excellent début, mais cela n’est certainement pas suffisant. De plus, cela est encore moins la réponse à laquelle s’attendent les organisations, voire les clients. Il existe tellement d’écosystèmes au sein même d’une structure hiérarchique, tellement de silos, de processus et procédure que la seule pensée de transformer les équipes ne suffira pas à répondre à un simple objectif de mise en place d’un pipeline de livraison continue quotidien, car les infrastructures ne sont pas prêtes à absorber ce changement colossal qu’une modernisation des méthodes de travail implique. Il ne suffit pas de se concentrer sur les méthodes de travail des équipes en tant que telles. Il faut penser à préméditer et préparer le changement, à amener et finalement à supporter la modernisation de la structure organique par aligner la perception des modes d’organisation du travail. Ajuster les valeurs et la mission de l’organisation pour s’approprier une culture structurelle unique et adaptée.

Redonnons à nos hiérarchies un pouvoir coopératif en structurant la stratégie de modernisation depuis les initiatives stratégiques de l’organisation pour y intégrer les méthodes d’organisation de la structure fonctionnelle, des écosystèmes, puis des équipes.
L’architecture des méthodes Lean et Agile permettrait de reconstruire les connections entre les différents écosystèmes, depuis la gouvernance stratégique jusqu’aux équipes opérationnelles. Ceux-ci s’appuyant sur des processus de décisions précises, standardisées et structurées accordant un rôle central à la culture Lean et Agile axées sur la création et l’innovation.

L’architecture des méthodes Lean et Agile irait plus loin, car elle permettrait de rendre la structure plus flexible en mettant un accent particulier sur une gouvernance itérative, des processus standardisés, mais adaptatifs et privilégierait l’intelligence collective par la création de canaux de consentement et de collaboration en utilisant les bons outils et les meilleures technicités selon la vision stratégique du développement de l’organisation, de son contexte, de sa réalité ainsi que celle du marché tout en cultivant un ADN pour chaque écosystème ; et ce en suivant les mêmes horizons corporatifs.

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